|
Proposer
« une refondation progressiste
pour dépasser la contre-révolution libérale
» : le projet de Michel Clouscard dans
cet ouvrage peut sembler au-delà des limites de la raison
théorique et pratique. Trois arguments au moins peuvent
lui être opposés :
- « Quelle
prétention ! »
- « C’est pas si mal que ça,
le libéralisme ! »
- « Même si on voulait, c’est
impossible ! »
Trois arguments de poids, qu’il nous faut examiner avant
toute lecture.
1
«
Dépasser le libéralisme. Quelle prétention
! ». Car le libéralisme
est le produit d’une longue histoire et d’un patient
travail d’élaboration politique. Pour surmonter
les tentations totalitaires et accomplir une raison pratique,
de Platon à Marx. Pour doper la libre-entreprise et sortir
de l’économie de survie en développant la
rationalité scientifique et technique. Pour faire de
la République une démocratie vivante qui donne
à l’individu et à l’esprit critique
une vraie place.
Ces arguments disent une histoire et des progrès –
de la raison et des sociétés. Mais cette histoire
est vivante, faite de luttes dans les idées et les pratiques
sociales. Luttes pour des formes de justice adaptées
aux formes sociales réelles, contre l’esclavage.
Pour sortir des systèmes fermés de pensée
unique et de modes de vie régimentés. Pour établir
une puissance réelle de raison partagée à
l’échelle du monde.
La raison est un bien commun. Et la tâche d’un philosophe
est de la faire travailler, d’élaborer de la pensée
et de proposer à la discussion une nouvelle approche
de la vie humaine, à la fois théorique et pratique.
Avec, en toile de fond, la tradition philosophique, mais aussi
contre ceux qui voudraient réduire la puissance de l’élaboration
philosophique. Ou nous enfermer dans une pensée unique
: tout va très bien dans l’ultra-libéralisme
conquérant. Contre ceux qui voudraient nous tenir dans
la seule pragmatique – mesurant les valeurs en bourse
ou l’équipement des ménages. Proposer de
nouvelles mises en débat – un forum mondial de
la raison - à l’heure où le forum social
mondial pose qu’un autre monde est possible. Parce que
Aristote définissait l’homme à la fois comme
« animal raisonnable » et comme « animal politique
». Aujourd’hui, c’est toute l’humanité
- chacun d’entre nous - qui est en charge d’accomplir
cette double nature.
La prétention de dépasser le néolibéralisme
n’a d’égale que l’ampleur de la tâche
humaine actuelle. 
2
D’autres diraient que le
néolibéralisme est un moindre mal,
qu’il faut au plus l’aménager et non le repenser
ou le « dépasser ». C’est un système
social ouvert, évolutif, libéral par définition.
Avec cette grande avancée que les uns ou les autres ne
sont plus enfermés – ou moins – dans des
croyances, des tribus, des castes, des classes. Qu’on
peut y réussir si l’on est vaillant. Que la sélection
sociale n’est ni plus ni moins qu’une forme développée
de la sélection naturelle ! Et que sur l’autre
rive, il n’y a que les totalitarismes, de type nazi ou
soviétique- qui ont démontré à la
fois leur nuisance et leur échec – parce qu’ils
ne pouvaient supporter la puissance de la raison critique.
Le développement de l’individu et de l’esprit
critique est un incontestable progrès de l’histoire
humaine. Désormais, il faut transformer l’essai
: poser que tous les individus peuvent s’accomplir raisonnablement
– et d’abord vivre ! 
3
«
Même si on le voulait, c’est impossible ! »
répond notre interlocuteur fictif. Le joli dicton «
impossible n’est pas français » - qui y répond
en forme de boutade - peut être mondialisé. Le
présent le démontre : les peuples crient d’une
même voix contre l’injustice, celle de la pauvreté
et de la guerre impérialiste et libérale, «
libératrice ». Face aux cohortes armées
et aux monstres technologiques qui se cachent derrière
la façade libérale, se trame une vraie «
contre-révolution libérale ». C’est
ce qu’établit Michel Clouscard. Un concept qui
permet de nommer ce contre quoi toute l’humanité
s’élève, chaque jour. Et le « possible
» est cet horizon que se donnent des hommes sans savoir
à l’avance quelles formes définies ils lui
donneront.
Michel Clouscard nous propose un chemin d’inconfort, parce
qu’il nous propose un miroir critique et d’autres
interprétations, mais aussi des choses simples : le bonheur,
une morale citoyenne, et une éthique de progrès,
un parlement du « Travailleur Collectif ». Certes
à rebours des idéologies en vogue. Mais en traçant
un horizon inouï depuis Platon et Rousseau : la réconciliation
de la subjectivité et du politique. Non comme gendarmement
stalinien de l’individu ou squelette néolibéral
d’une société profondément injuste,
mais comme puissance d’exister singulière au sein
d’une vie sociale reconstruite sur la praxis, l’œuvre
quotidienne de ceux contribuent à façonner le
monde.
C’est au quotidien que le dialogue avec Michel Clouscard
prend sens, quand les fragments éparpillés de
réalité apparaissent dans une logique de contre-révolution
libérale qui, à la fois, exclut de l’emploi
les moins bien lotis au nom de « l’employabilité
» - alors que toutes les sociétés savaient
trouver une place utile, même à « l’idiot
du village » - et promeut le fils à papa soixante-huitard
en « expert » du management mondial des ressources
nécessaires au profit.
Entrer dans le dialogue avec Michel Clouscard, c’est accepter
l’inconfort que produisent ses thèses originales
et paradoxales : le néofascisme populiste est à
la fois le produit et la contrepartie du libéralisme
libertaire. « L’Arabe » est à la fois
le repoussoir de la paupérisation dont chacun a peur
et l’emblème d’un sous-prolétariat
mondial qui doit rester privé de son propre développement.
Le « marché du désir » où tout
est devenu marchandise, jusqu’au moindre fantasme, engendre
cette « névrose objective » d’un Occident
qui, avec toutes ses richesses, ne sait plus comment bien vivre.
Alors le négativisme ambiant, le désarroi et les
renoncements quotidiens s’ordonnent dans l’esprit
engourdi par tout un corps de métiers du « culturel-mondain
» chargé de brouiller les pistes. Les grands discours
sur l’éthique et les leçons de démocratie
masquent le cynisme des agressions impérialistes à
l’échelle mondiale, à grand renfort de bombes
ou de destruction souterraine de la santé, physique et
psychique.
La seule thérapeutique psychique est insuffisante contre
cette pathologie sociale que Michel Clouscard nomme «
névrose objective », plus élémentaire
que celle de l’Œdipe freudien et qui prend source
dans la guerre civile invisible entre production et consommation.
Le politique se doit alors de restaurer les fondamentaux, l’équité
entre production et consommation, et de proposer une nouvelle
praxis politique élevant ceux qui produisent au rang
d’acteurs politiques par l’institution d’un
Parlement du Travailleur Collectif.
Les figures de proue du libéralisme de l’équité
(Rawls) ou de la démocratie procédurale (Habermas)
sont invités à la table de discussion : quelle
théorie de la pratique libérale ? Pourquoi le
libéralisme a-t-il promu le clandestin et le «
prostitutionnel » au rang de réalité licite
du « marché du désir » ? Comment comprendre
toute cette économie clandestine qui alimente le nouveau
profit ? Quelles procédures de discussion démocratique
et partagée permettront de produire de la démocratie
avec la maffia, qui n’en a que faire, mais aussi avec
ceux qui sont exclus de toute discussion ? Autant de questions
qui sont mises en débat dans cet ouvrage philosophique
novateur et fondateur.
L’ancienneté de l’œuvre de Michel Clouscard
atteste de sa clairvoyance dans l’analyse du libéralisme
: en 1972, il publiait « Néofascisme et idéologie
du désir » ; en 1981 « Le capitalisme de
la séduction » ; et après les grèves
de 1995, « Métamorphoses de la lutte des classes
». Michel Clouscard est avant tout un philosophe complet
et original parce qu’il articule le politique et le subjectif,
le citoyen et le sujet : « Traité de l’Amour
fou », 1993.
« Refondation progressiste
face à la contre-révolution libérale »
se veut une contribution aux débats publics actuels et
à la volonté mondiale des peuples pour qu’émerge
un monde plus juste. 
|
|